[1]Vingt deux heures. Le trente juin. Place du palais des
Papes. Le lieu est majestueux. La place devant notre Dame des Dons est
recouverte de dalles de pierres, à peine inclinée. La vierge d’or veille. Sur
le coté la mémoire des Papes, enfermée dans cette imposante construction,
contient les dérives. La nuit, tout juste tombe dans le sud de la France avec
ce qu’il faut de chaleur et de vent pour rendre l’atmosphère
sensuelle.
C’est la dernière soirée de tango en ce
lieu avant la rentrée ou du moins ce qu’elle croit. C’est une milonga sauvage,
avec seulement un magnétophone pour diffuser la musique. Cela augmente le
charme. L’on vient de partout pour cet évènement. Il n’y a jamais aucun
problème, la musique nostalgique du tango forme un halo énergétique autours des
danseurs. Même les jeunes gens alcoolisés qui ne manquent pas en cet endroit,
observent, sans jamais s’aventurer sur la piste fictive. Chacun dépose son sac
dans le creux de la fontaine asséchée. Les femmes surtout, changent de
chaussures pour se retrouver perchées neufs centimètres au dessus du sol. Pour
l’élégance bien sur, mais surtout parce qu’être sur la pointe des pieds permet
d’effectuer les pas plus facilement. Les notes de musique se dispersent dans le
vent, pas trop espère t- elle. La soirée promet d’être belle.
Elle démarre toujours avec un peu de
nonchalance. Le temps d‘observer. Le temps de se saluer, le monde du tango est
un cercle assez restreint tout le monde se connaît ou presque. Alors quand une
tête nouvelle apparaît, tous les regards focalisent. Et bien sur, les
interrogations et les observations qui les accompagnent. Chacun se demande si
dans ces bras là se sera mieux que dans tous ceux déjà connus.
Danser, l’envie de danser, de faire le
pas juste, de s’adapter à l’autre, de le suivre, prouver que, elle aussi est
capable. Se faire inviter, pour qu’elle sente que oui, elle existe dans les
bras de l’autre. Pour trois tangos, qu’elle sente son corps bouger oui mais pas
plus surtout. Merci…
La soirée débute elle n’a pas encore
dansé, elle cherche du regard, oui mais pas vraiment pas comme à Buenos -
Aires. Elle fuit se détourne, elle a envie, elle a surtout envie que vous ayez
envie vous Messieurs. Elle ne peut affirmer son envie, comme faire une promesse
qu’elle n’est pas certaine de tenir, pour la danse, comme pour le reste. Si
vous aviez des envies de plus. Elle ne
peut différencier la séduction tango de la séduction tout court. Mais elle veut
danser.
Alors elle cherche, elle scrute
alentours, et ses yeux s’arrêtent. Là contre le mur, un homme se penche pour y
déposer son sac de marin, son cœur se met à battre plus fort, cette courbe du
dos, incroyable ! c’est lui.
Elle qui tous les jours en
consultation voit des dos se courber, puisque
la première chose qu’elle demande à ses patients, est « penchez
-vous en avant »celle là dans sa spontanéité, lui explose en plein cœur,
en plein corps, ses sens tressaillent d’envie et d’impatience.
Il se retourne, son visage, aucun
détail ne s’imprime, seule son intelligence, oui elle le sent, cet homme est
intelligent, c’est de là que lui vient son élégance.
Il
vient vers elle, l’invite pour une danse. Tout se mélange, bien faire, ne pas
montrer son attirance, son émotion.
-je
m’appelle Charles et toi?
-Maud,
d‘ou viens-tu?
Déjà
là, elle fait un effort, poser une question banale, la conversation à toujours
été sa pauvreté, elle est loin de son désir, lui dire qu’il l’émeut que déjà
elle l’aime. Qu’il est homme qu’elle attend.
-de
Lyon, et face à son étonnement, je suis en vacances à Montpellier, et toi?
-je
suis d’Avignon.
Fin
du dialogue.
L’obsession, bien faire, suivre les
pas, les directives de son corps, ses désirs en sorte. Comment ça ? Elle suivre
un homme, se soumettre, ne pas imposer son envie, elle a toujours lutté,
surtout contre elle. Au plus profond de son être, c’est ce qu’elle a toujours
souhaité, faire confiance à l’homme pour pouvoir le suivre.
Le tango, cela avait été une impulsion
comme toujours dans sa vie, après elle analyse, tout était en accord, exprimer
sa sensualité, muscler la partie inférieure de son corps, sa profession se
chargeant du reste, rencontrer des personnes socialement différentes. Le plus
inattendu, et elle s’en rendra compte dès les premiers cours c’est que le tango
argentin est une danse d’improvisation ou la femme doit suivre l’homme tout en
restant autonome dans chaque pas. Dure réalité, la leçon du tango de la vie, la
leçon qu’elle venait juste de comprendre.
Dans
ses bras oui elle est dans ses bras, et elle ne pense qu’à ses pieds, pas
de coté, croisé arrière, et là… là elle
ne sait pas. Elle s’emmêle, se confond en excuses. Elle a le trac, elle tremble
de tout son corps, tout contre lui, le sent-il ? Elle aime son odeur, et là
raté le croisé avant. Oui elle tremble, une vrai feuille par temps de mistral,
c’est sur il le sent, la trouve idiote.
Fin du premier tango l’étreinte
se desserre, sourire, vite que la musique reprenne la bien séance impose trois
danses minimum. Elle voudrait trouver
des mots , les assembler, les dire, rien ne sort, sourire, la musique
reprend. Elle s’applique, il faut qu’elle
s’applique, elle est dans ces bras c’est doux, c’est chaud, visage contre
visage, alors oui elle ressent ce bonheur des retrouvailles. « Non mais
pas trop mes sens, mes jambes vont me lâcher, ne vous emballez pas« .
Troisième tango et ce n’est même pas un de ses préférés, la synthèse commence à
se faire, ressentir du plaisir malgré les faux pas et la paralysie de
l’émotion. Trop [2]tard, la sentence tombe. Merci.
Le remerciement, est un des codes du
tango : il signifie cela suffit, au moins pour le moment. Dire merci au beau
milieu d’une tanda peut être vécu comme
un rejet, voir un affront. Il signifie toujours : je n’ai pas envie de
poursuivre.
Une
femme qui décline une invitation peut être très douloureux pour l’homme. Cela
lui était arrivé une fois auprès d’un très bon danseur mais qui avait les mains
trop baladeuses. Elle y avait été franco :
-non,
avait- elle répondu , à cet homme planté devant elle.
Maud le regrette encore c’est un bon
cavalier. Il ne lui adresse même plus un regard. Elle aurait du faire preuve de
plus de diplomatie pour ne pas froisser son ego. Prétexter un mal au pied, mais
comme dans la vie, elle était un peu brut de décoffrage. C’est pour cela qu’il
y a cet échange de regard à distance. L’homme ainsi s’assure qu’il ne sera pas
éconduit, et peut garder sa dignité de mâle face à l’assistance. Bien que cette
danse soit un exercice de concentration, tout se voit dans une milonga. Celle
là fait du charme à celui là et un peu plus que ne réclame le jeu de
l’invitation. Les sens sont exacerbés.
Charles ne la réinvitera
plus de la soirée, malgré son désir, son application à danser le mieux possible
avec les autres pour qu’il la remarque. Il s’en est allé vers d’autres bras plus expérimentés, plus
charmants peut-être aussi. Plus loquaces certes, plus aptes à la séduction. Il
réinvite souvent la même femme, Sylvie. Elle les observe, elle, bavardant,
joyeuse, ses regards ayant du sens en tout cas pour elle. Maud l’envie, elle
se débat à l’intérieur, oui la dure
réalité est qu’elle est inapte à cette parade. Elle se défend, à cette
mascarade, si cet homme est sensible à
ce jeu commun, alors sa perception dans laquelle elle a une confiance
indéfectible, l’aura trahie pour la première fois. L’image qu’elle avait d’une
rencontre, était l’originalité. Alors
tout ce qui était de la redite, elle n’en voulait pas. Les regards allumeurs, les
sourires trop forcés et autres mots flatteurs et enjôleurs, elle les avait
radiés de son registre. Sans grande difficulté cela n’avait jamais été un don.
Elle préférait de loin l’humour qui permettait aussi d’évaluer une certaine
intelligence.
La
comparsita annonce la fin de la soirée, dernier tango encore un espoir, non pas
même un regard.
Fin.
Il quitte le lieu précipitamment comme s’il
avait peur de créer des liens, peur de subir une présence trop intime. Elle le
regarde s’éloigner, ne pense à rien, ou à tout en même temps. Elle aurait du parler
même l’inviter, oui cela ce fait, mais non pas elle, Maud n’a pas le courage.
Elle quitte à son tour la place avec un prénom, un lieu d’habitation et de
villégiature, pas même la couleur des
yeux.
Trop
d’émotions pour engrammer les détails.
Elle a déjà cherché à comprendre,
malgré ses seulement huit mois de pratique, quels sont les enjeux. Ce goût pour
cette danse si particulière faite de rencontres brèves, corps à corps, souvent
sensuelle. Elle a analysé, décortiqué ; sa conclusion est sans appel : tous ces
gens souvent seuls dans la vie, viennent se nourrir d’un peu de contact, de
chaleur, remplir la demande affective juste ce qu’il faut pour rester vivant.
La cortina mettant fin à l’étreinte au bout de trois ou quatre danses pour
mieux aller vers d’autres bras plus nourriciers peut-être. Vivre des émotions,
que les corps les partagent mais sans jamais s’engager. Les tangueras et
tanguéros sont des handicapés du cœur et de l’engagement. Quand à elle, non elle ne fait pas
partie de cette catégorie, d’ailleurs à aucun moment, l’idée d’une rencontre
possible ne l’a effleurée. Et pour l’engagement, oui elle veut s’engager dans
une relation, d’ailleurs n’avait - elle pas fait deux enfants avec un homme
marié. Aux yeux de tous si ça ce n’était pas de l’engagement…..Peut -être pas
autant qu’elle voulait bien se le raconter.
Seize juillet, deux semaines se sont
écoulées, ou es-tu Charles ?
Dans
sa pensée, il l’envahit. Le revoir ?
Elle a entraîné son amie Carla à aller danser le plus prés possible de
Montpellier, si elle aidait la providence en qui elle a foi et qui gouverne sa
vie.
La providence, Dieu,
l’Univers, quelque soit le nom qu’on lui donne, peu importe. Il s’agit d’avoir
confiance dans un ressenti, avoir une demande intérieure, et surtout laisser faire.
Ne pas mettre de pression mentale. Utiliser le principe de l’objectif : faire
un gros plan pour la demande puis prendre de la distance. Maud essaie le plus
possible de s’en tenir à cette ligne de conduite pour sa vie. Cela ne la laisse
pas pour autant inactive, elle fait ce qui il y a à faire, comme un bon
ouvrier. Ensuite pour le résultat c’est à la grâce de Dieu. Elle vit le plus
possible dans la foi. Cela ne lui évite pas toujours de réagir par le stress en
première intention. Dans l’ensemble elle ne s’en sort pas trop mal. La seule
difficulté réside dans le fait d’être claire par rapport aux sensations. Ne
surtout pas [3]les confondre avec un désir mental. Le doute est
souvent son compagnon de route. Comme le disait l’enseignement de la Kabbale,
qu’elle avait suivit quelques années auparavant, Satan était le doute. Il lui
reste encore du chemin pour accéder à la parfaite sérénité. Le domaine qui
demeure le plus périlleux est celui des sentiments.
En chemin elle se laisse un peu aller:
« J’ai
croisé un homme qui me plait, l’autre jour en Avignon »
Non,
elle a du dire un mec, surtout rester légère ne pas donner d’importance, ou
plutôt la garder, à l’abri au fond de son cœur comme un trésor. Non la
providence n’a pas encore décidé, pas encore, est son espoir.
Seize juillet. Vingt trois heures. Aix
en Provence. C’est son endroit préféré, elle y est toujours invitée. Il y a des
lieux comme ça qui répondent mieux à nos attentes. Et ce soir elle va être
comblée, elle sait d’avance que ses amis danseront ensemble toute la soirée.
Elle s’assoit, se chausse, elle est éloignée de la piste trop tard, trop de
monde, pour avoir la place stratégique à l’invitation.
-« Madame »
vvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvv
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire