jeudi 22 novembre 2012

Tango..."de la prière à la cortina" extrait1



[1]Vingt deux heures. Le trente juin. Place du palais des Papes. Le lieu est majestueux. La place devant notre Dame des Dons est recouverte de dalles de pierres, à peine inclinée. La vierge d’or veille. Sur le coté la mémoire des Papes, enfermée dans cette imposante construction, contient les dérives. La nuit, tout juste tombe dans le sud de la France avec ce qu’il faut de chaleur et de vent pour rendre l’atmosphère sensuelle.
                                                                                                                          
         C’est la dernière soirée de tango en ce lieu avant la rentrée ou du moins ce qu’elle croit. C’est une milonga sauvage, avec seulement un magnétophone pour diffuser la musique. Cela augmente le charme. L’on vient de partout pour cet évènement. Il n’y a jamais aucun problème, la musique nostalgique du tango forme un halo énergétique autours des danseurs. Même les jeunes gens alcoolisés qui ne manquent pas en cet endroit, observent, sans jamais s’aventurer sur la piste fictive. Chacun dépose son sac dans le creux de la fontaine asséchée. Les femmes surtout, changent de chaussures pour se retrouver perchées neufs centimètres au dessus du sol. Pour l’élégance bien sur, mais surtout parce qu’être sur la pointe des pieds permet d’effectuer les pas plus facilement. Les notes de musique se dispersent dans le vent, pas trop espère t- elle. La soirée promet d’être belle.
         Elle démarre toujours avec un peu de nonchalance. Le temps d‘observer. Le temps de se saluer, le monde du tango est un cercle assez restreint tout le monde se connaît ou presque. Alors quand une tête nouvelle apparaît, tous les regards focalisent. Et bien sur, les interrogations et les observations qui les accompagnent. Chacun se demande si dans ces bras là se sera mieux que dans tous ceux déjà connus.                                                          
         Danser, l’envie de danser, de faire le pas juste, de s’adapter à l’autre, de le suivre, prouver que, elle aussi est capable. Se faire inviter, pour qu’elle sente que oui, elle existe dans les bras de l’autre. Pour trois tangos, qu’elle sente son corps bouger oui mais pas plus surtout. Merci…                               
         La soirée débute elle n’a pas encore dansé, elle cherche du regard, oui mais pas vraiment pas comme à Buenos - Aires. Elle fuit se détourne, elle a envie, elle a surtout envie que vous ayez envie vous Messieurs. Elle ne peut affirmer son envie, comme faire une promesse qu’elle n’est pas certaine de tenir, pour la danse, comme pour le reste. Si vous aviez des envies de plus. Elle  ne peut différencier la séduction tango de la séduction tout court. Mais elle veut danser.                                                                                                      Alors elle cherche, elle scrute alentours, et ses yeux s’arrêtent. Là contre le mur, un homme se penche pour y déposer son sac de marin, son cœur se met à battre plus fort, cette courbe du dos, incroyable ! c’est lui.                                                                  Elle qui tous les jours en consultation voit des dos se courber, puisque  la première chose qu’elle demande à ses patients, est « penchez -vous en avant »celle là dans sa spontanéité, lui explose en plein cœur, en plein corps, ses sens tressaillent d’envie et d’impatience.
                                                                                             
         Il se retourne, son visage, aucun détail ne s’imprime, seule son intelligence, oui elle le sent, cet homme est intelligent, c’est de là que lui vient son élégance.                   
Il vient vers elle, l’invite pour une danse. Tout se mélange, bien faire, ne pas montrer son attirance, son émotion.
-je m’appelle Charles et toi?
-Maud, d‘ou viens-tu?
Déjà là, elle fait un effort, poser une question banale, la conversation à toujours été sa pauvreté, elle est loin de son désir, lui dire qu’il l’émeut que déjà elle l’aime. Qu’il est homme qu’elle attend.
-de Lyon, et face à son étonnement, je suis en vacances à Montpellier, et toi?
-je suis d’Avignon.
Fin du dialogue.
         L’obsession, bien faire, suivre les pas, les directives de son corps, ses désirs en sorte. Comment ça ? Elle suivre un homme, se soumettre, ne pas imposer son envie, elle a toujours lutté, surtout contre elle. Au plus profond de son être, c’est ce qu’elle a toujours souhaité, faire confiance à l’homme pour pouvoir le suivre.
         Le tango, cela avait été une impulsion comme toujours dans sa vie, après elle analyse, tout était en accord, exprimer sa sensualité, muscler la partie inférieure de son corps, sa profession se chargeant du reste, rencontrer des personnes socialement différentes. Le plus inattendu, et elle s’en rendra compte dès les premiers cours c’est que le tango argentin est une danse d’improvisation ou la femme doit suivre l’homme tout en restant autonome dans chaque pas. Dure réalité, la leçon du tango de la vie, la leçon qu’elle venait juste de comprendre.
         Dans ses bras oui elle est dans ses bras, et elle ne pense qu’à ses pieds, pas de  coté, croisé arrière, et là… là elle ne sait pas. Elle s’emmêle, se confond en excuses. Elle a le trac, elle tremble de tout son corps, tout contre lui, le sent-il ?                  Elle aime son odeur, et là raté le croisé avant. Oui elle tremble, une vrai feuille par temps de mistral, c’est sur il le sent, la trouve idiote.                                                                                                                        Fin du premier tango l’étreinte se desserre, sourire, vite que la musique reprenne la bien séance impose trois danses minimum. Elle voudrait  trouver des mots , les assembler, les dire, rien ne sort, sourire, la musique reprend.                                                   Elle s’applique, il faut qu’elle s’applique, elle est dans ces bras c’est doux, c’est chaud, visage contre visage, alors oui elle ressent ce bonheur des retrouvailles. « Non mais pas trop mes sens, mes jambes vont me lâcher, ne vous emballez pas« . Troisième tango et ce n’est même pas un de ses préférés, la synthèse commence à se faire, ressentir du plaisir malgré les faux pas et la paralysie de l’émotion. Trop [2]tard, la sentence tombe. Merci.                                                                                                                    
         Le remerciement, est un des codes du tango : il signifie cela suffit, au moins pour le moment. Dire merci au beau milieu d’une tanda peut être vécu  comme un rejet, voir un affront. Il signifie toujours : je n’ai pas envie de poursuivre.
Une femme qui décline une invitation peut être très douloureux pour l’homme. Cela lui était arrivé une fois auprès d’un très bon danseur mais qui avait les mains trop baladeuses. Elle y avait été franco :
-non, avait- elle répondu , à cet homme planté devant elle.
         Maud le regrette encore c’est un bon cavalier. Il ne lui adresse même plus un regard. Elle aurait du faire preuve de plus de diplomatie pour ne pas froisser son ego. Prétexter un mal au pied, mais comme dans la vie, elle était un peu brut de décoffrage. C’est pour cela qu’il y a cet échange de regard à distance. L’homme ainsi s’assure qu’il ne sera pas éconduit, et peut garder sa dignité de mâle face à l’assistance. Bien que cette danse soit un exercice de concentration, tout se voit dans une milonga. Celle là fait du charme à celui là et un peu plus que ne réclame le jeu de l’invitation. Les sens sont exacerbés.                                                                                                                            Charles ne la réinvitera plus de la soirée, malgré son désir, son application à danser le mieux possible avec les autres pour qu’il la remarque. Il s’en est allé  vers d’autres bras plus expérimentés, plus charmants peut-être aussi. Plus loquaces certes, plus aptes à la séduction. Il réinvite souvent la même femme, Sylvie. Elle les observe, elle, bavardant, joyeuse, ses regards ayant du sens en tout cas pour elle. Maud l’envie, elle se  débat à l’intérieur, oui la dure réalité est qu’elle est inapte à cette parade. Elle se défend, à cette mascarade, si  cet homme est sensible à ce jeu commun, alors sa perception dans laquelle elle a une confiance indéfectible, l’aura trahie pour la première fois. L’image qu’elle avait d’une rencontre,  était l’originalité. Alors tout ce qui était de la redite, elle n’en voulait pas. Les regards allumeurs, les sourires trop forcés et autres mots flatteurs et enjôleurs, elle les avait radiés de son registre. Sans grande difficulté cela n’avait jamais été un don. Elle préférait de loin l’humour qui permettait aussi d’évaluer une certaine intelligence.
La comparsita annonce la fin de la soirée, dernier tango encore un espoir, non pas même un regard.                                                                                            
Fin.                                                                                                                         
          Il quitte le lieu précipitamment comme s’il avait peur de créer des liens, peur de subir une présence trop intime. Elle le regarde s’éloigner, ne pense à rien, ou à tout en même temps. Elle aurait du parler même l’inviter, oui cela ce fait, mais non pas elle, Maud n’a pas le courage. Elle quitte à son tour la place avec un prénom, un lieu d’habitation et de villégiature, pas même  la couleur des yeux.
Trop d’émotions pour engrammer les détails.    
         Elle a déjà cherché à comprendre, malgré ses seulement huit mois de pratique, quels sont les enjeux. Ce goût pour cette danse si particulière faite de rencontres brèves, corps à corps, souvent sensuelle. Elle a analysé, décortiqué ; sa conclusion est sans appel : tous ces gens souvent seuls dans la vie, viennent se nourrir d’un peu de contact, de chaleur, remplir la demande affective juste ce qu’il faut pour rester vivant. La cortina mettant fin à l’étreinte au bout de trois ou quatre danses pour mieux aller vers d’autres bras plus nourriciers peut-être. Vivre des émotions, que les corps les partagent mais sans jamais s’engager. Les tangueras et tanguéros sont des handicapés du cœur et de l’engagement.          Quand à elle, non elle ne fait pas partie de cette catégorie, d’ailleurs à aucun moment, l’idée d’une rencontre possible ne l’a effleurée. Et pour l’engagement, oui elle veut s’engager dans une relation, d’ailleurs n’avait - elle pas fait deux enfants avec un homme marié. Aux yeux de tous si ça ce n’était pas de l’engagement…..Peut -être pas autant qu’elle voulait bien se le raconter.


         Seize juillet, deux semaines se sont écoulées, ou es-tu Charles ?
Dans sa pensée, il l’envahit. Le revoir ?                                                                                                 Elle a entraîné son amie Carla à aller danser le plus prés possible de Montpellier, si elle aidait la providence en qui elle a foi et qui gouverne sa vie.                                                 La providence, Dieu, l’Univers, quelque soit le nom qu’on lui donne, peu importe. Il s’agit d’avoir confiance dans un ressenti, avoir une demande intérieure, et surtout laisser faire. Ne pas mettre de pression mentale. Utiliser le principe de l’objectif : faire un gros plan pour la demande puis prendre de la distance. Maud essaie le plus possible de s’en tenir à cette ligne de conduite pour sa vie. Cela ne la laisse pas pour autant inactive, elle fait ce qui il y a à faire, comme un bon ouvrier. Ensuite pour le résultat c’est à la grâce de Dieu. Elle vit le plus possible dans la foi. Cela ne lui évite pas toujours de réagir par le stress en première intention. Dans l’ensemble elle ne s’en sort pas trop mal. La seule difficulté réside dans le fait d’être claire par rapport aux sensations. Ne surtout pas [3]les confondre avec un désir mental. Le doute est souvent son compagnon de route. Comme le disait l’enseignement de la Kabbale, qu’elle avait suivit quelques années auparavant, Satan était le doute. Il lui reste encore du chemin pour accéder à la parfaite sérénité. Le domaine qui demeure le plus périlleux est celui des sentiments.
         En chemin elle se laisse un peu aller:
« J’ai croisé un homme qui me plait, l’autre jour en Avignon »
Non, elle a du dire un mec, surtout rester légère ne pas donner d’importance, ou plutôt la garder, à l’abri au fond de son cœur comme un trésor. Non la providence n’a pas encore décidé, pas encore, est son espoir.
         Seize juillet. Vingt trois heures. Aix en Provence. C’est son endroit préféré, elle y est toujours invitée. Il y a des lieux comme ça qui répondent mieux à nos attentes. Et ce soir elle va être comblée, elle sait d’avance que ses amis danseront ensemble toute la soirée. Elle s’assoit, se chausse, elle est éloignée de la piste trop tard, trop de monde, pour avoir la place stratégique à l’invitation.
         -« Madame »

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[2]         
[3]         

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